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Là où j'arrivai

Là où j'arrivai

Prologue :

 

Là, où j’arrivais, la ville fut désolation. Avec mon étui de violon accroché à ma main pour unique instrument, je pensais jouer les seconds couteaux, dans un cabaret, sur Pigalle la Blanche. L’hiver s’installait et les feuilles s’accrochèrent encore un instant aux mouroirs affamés des branches. Les squelettes des arbres lambinèrent avec les lampadaires du trottoir, comme une danseuse sur une ritournelle macabre.

 

Par endroit, je contemplais pensivement les fausses étoiles du soir, celles qui s’allumèrent avec l’arrivée d’une étrange fée, nommée électricité. Des pas dans la mémoire, le brouillard pour unique contact, l’impalpable légèreté de l’être au travers sa gravité, tout cela fut tellement improbable. Je me remémorerais les premières notes de Carmina Burana, celles qui firent mouche au précédent intermédiaire. Je me dirigeais vers un lieu de rendez-vous sordide de la capitale. Pigalle, me voilà, « dans le bar tranquille de la rue des Martyrs ».

 

Des raies lumineuses traversaient les grands magasins, les faisceaux d’iodes illuminèrent d’étranges personnages sans âmes derrière les vitrines austères. Rien ne bougeait, pas un quidam n’osait s’aventurer sur les boulevards à cette heure. Peut-être, à part, parfois quelques vendeuses de charmes qui offrirent en sacrifices leurs corps dénudés, leurs diamants noirs d’impuretés. La rue Réaumur Sébastopol ne possédait plus rien de son enchantement jadis, encore moins de perfections quand la lune apparut dans les caniveaux de la capitale. Maurice Chevalier dut être attristé de voir « Paname » mourir la nuit. « Plus un bruit, Paris se meurt aujourd’hui », la Mano Negra avait raison, où étaient passées nos guinguettes d’autrefois ?

 

Je rêvais assis sur le macadam humide et froid, je sortis mon violon de son coffret noir, je le pris d’une main, et je commençais à jouer quelques notes de « la vie en rose », quand d’un luminaire, une rosée perla lentement et givra aussitôt. Je pris la perle de glace dans la main et je regardais de quelle manière elle allait fondre dans la chaleur de ma main.

 

Les voluptés de mes pensées s’offrirent une nouvelle révolution et la Commune de mil huit cent soixante-dix, sonna dans le temps de ma mémoire, Victor Hugo de son ombre guidait le Tout-Paris, Gavroche courut à en perdre haleine. Les balles fusèrent au travers de la rue, il plut du plomb à en faire fondre les murs parisiens. Adieu ô nuits Parnassiennes. Où es-tu donc Rimbaud ? Tu as beau l’air de te cacher, Charles, je te retrouverai en mon enfer.

 

Les souvenirs de lycéen galvanisèrent un à un mon âme, égrenant les ans au travers d’une machine à remonter le temps ; et le cœur, cette étrange machine brisée, poussive et toussotant à l’instar d’une trompette de jazz vieillissant loin de Louis Armstrong. Les accrocs du temps n’eurent pas d’importance réelle, je vis les ruelles rougir de la couleur pourpre de mes notes et de sueurs. Le sang des braves, qui luttèrent pour quelques notes inscrites dans la pierre, au fronton de tous les édifices français, se répandit à nouveau dans les caniveaux. J’en aurais fait volontiers ma litière, mon oreiller d’un soir, si la place ne fut pas déjà occupé par tant de sans abris.

 

La vie était une garce pour certains, « Of Dark Blood And Fucking », la sœur Minuit arriva en blasphémant, et de ces ogives orgasmiques, je dégustais sa substance. Elle se jouait d’eux, elle se jouait de moi aussi. Comme un chien d’une peluche, mordant de ses crocs acides et froids dans la chair meurtrie, elle plaisantait avec mon corps engourdi. La roue de la chance aura tourné dans son malheur et s’arrêta sur la mauvaise case. Je pus entendre le forain s’écrier « perdu cette fois-ci ! Retentez votre chance la prochaine fois… » Quelle horreur, tout ce spectacle si vivant et si mort à la fois. Je repris mon violon et je jouais une ritournelle de Saint-Saëns. La danse macabre, celle qui me tenait le plus à cœur.

 

Je contemplais sans mot dire, sans maudire, ce triste et affligeant spectacle de la vie. Et même si parfois l’envie de hurler cette rage d’un trop plein naissant en moi réitérait en surface, comme d’un lac noir, dans une forêt sombre et ténébreuse. Et même si j’en eus la force ou le courage, de m’arrêter un instant, de discuter avec l’un de mes congénères transis par cette froidure. Rien ne m’obligeait réellement de le faire, quoique ; Quoiqu’il m’arrivait de tendre l’oreille à une détresse commune.

 

Qu’aurais-je pu lui dire, un mot de réconfort ? « Salut l’artiste, salut harpiste, tu joues de tes doigts sur la pluie tombante. Tu sais ce soir, il ne pleut pas ! »

 

Tag(s) : #Nouvelles, #Fantastique, #Fantaisiste, #Poe, #Voyage
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